Michel Troisgros (L'Invention de la cuisine)

Paul Lacoste, cuisinier amateur, possède un livre de cuisine écrit par Michel Guérard dont il a exécuté toutes les recettes, une à une, de la première à la dernière page. Cinéaste, il est parti dès  2000 à la rencontre de ce créateur ainsi que d'autres grands chefs, réalisant des portraits filmés réunis sous le titre L'invention de la cuisine. Cette série documentaire s'intéresse à la cuisine comme un art à part entière. Les cuisiniers dont elle établit le portrait ont en commun ce rapport alchimiste avec le monde comme nourriture, comme désir. Ils ont à la fois le besoin impératif de s'exprimer, la sensibilité et la technique pour le faire. Dans leur restaurant, l'on fait plus que se nourrir, on mange des œuvres éphémères dont la portée universelle peut toucher profondément...

Michel Troisgros est devenu cuisinier sans qu'il n'y ait eu grand débat dans la famille. Il fallait prolonger la belle histoire de la Maison de Roanne, lieu de toutes les révolutions gastronomiques de la fin du siècle dernier. Pourtant reprendre le flambeau ne fut pas une charge pour lui, tant on sait ici transmettre le plaisir de recevoir, de nourrir et de s'exprimer en cuisinant. Du coup, il est comme ces fils de grands musiciens, musicien prodige à son tour. Mais le vrai miracle, c'est qu'il a su, dans ce cocon qui aurait pu l'étouffer, trouver la voie singulière d'une cuisine intense, parfois brûlante, parfois piquante, parfois fraîche comme la glace. Les assiettes de Michel Troisgros sont comme ce que l'on croit deviner de sa personnalité : une forme sobre, presque austère, cachant en son sein une concentration étonnante. Contre toute apparence, Michel Troisgros porte ses efforts vers le dedans, le caché, le goût.

Ce film, inédit dans les médiathèques, a été projeté pour la première fois le 17 novembre 2007 à la MLIS, dans le cadre du rendez-vous cinéma Nous allons vous en faire voir !, en présence de Paul Lacoste et de Michel Troisgros.

Cette série nous fait découvrir le monde des fourneaux comme on pénètre dans l'atelier d'un peintre.  J'ai toujours pensé que la cuisine avait des vertus cinégéniques, analyse aujourd'hui le réalisateur toulousain Paul Lacoste, avec ses rythmes, ses contrepoints, ses scénarios que sont les recettes, ses acteurs que sont les cuisiniers. Mais il s'agissait de découvrir la genèse d'une œuvre et sa réalisation. Si un parti pris de mise en scène essaie de s'adapter à chacune de ces personnalités – caméra à l'épaule pour suivre les intuitions frénétiques de Pierre Gagnaire, plans fixes pour appréhender le travail analytique de Michel Troisgros… –, l'intelligence de ces films est aussi de saisir les ambiances dans lesquelles évoluent ces cuisiniers.  Dans les coulisses de ces grands restaurants, la caméra vérité de Lacoste capte l'énergie des équipes, la tension des coups de feu, la sensualité comme la répétitivité des gestes, les regards complices ou scrutateurs, les respirations, les silences… Elle plonge également au cœur du festin, filme avec une évidente délectation l'élaboration de recettes. S'ils font beaucoup saliver, ces films témoignent surtout que, au-delà des contraintes quotidiennes, des pesanteurs professionnelles et familiales, l'artisan trouve un style qui conte une histoire intime. www.lemonde.fr

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