CHRONIQUES HISTORIQUES, POLITIQUES ET SOCIALES
La Force du poignet
Eliane a cinquante ans. Afin d'échapper au chômage, elle rachète la clientèle d'un voyageur de commerce expérimenté. Elle apprend ainsi un nouveau métier afin de prouver, en travaillant, qu'elle est toujours vivante.
Il y a peu de métiers ingrats comme celui de représentant de commerce.
A moins d'aimer mettre le pied dans la porte, faire de la lèche à des
commerçants qui vous posent des lapins et se farcir ses trente mille
kilomètres par an en voiture, il vaut mieux être résistant, peu en proie
au doute et sûr de sa vocation. Eliane, le personnage principal
de la Force du poignet, n'a aucune de ces qualités. Elle a 50 ans, un
visage creusé par une vie qu'on ne connaîtra pas. Mais, à cet âge où les
cadres tremblent de trouille à l'idée d'être placardés en préretraite,
elle décide de débuter dans le métier de la vente de cartes de vœux, de
faire-part de décès et autres fantaisies d'anniversaire. Elle a racheté
«le droit de travailler» comme elle dit (une carte de VRP, voyageur
représentant placier) à Marcel. Ce dernier avait une clientèle. Il part
en retraite. Christophe Otzenberger, le réalisateur, a eu la bonne idée de la
coincer à ce moment crucial où il faut tout reprendre à zéro, se prouver
qu'on peut «rebondir», ce terme affreux qui sert aussi de titre à un
journal.(...) La Force du poignet
narre et décrit avec une vraie minutie chaque étape du «rodage»
d'Eliane à la vente, à la clientèle et à sa nouvelle société. Les
moments de tension psychologique sont parfaitement restitués sans que la
caméra ne force jamais le passage. (...) C'est d'ailleurs avec ce directeur régional, chargé de «mettre en place»
sa nouvelle recrue, que les scènes sont les plus saisissantes.
Celui-ci l'accompagne dans ses tournées et débite un discours de
boss-beauf à faire pâlir un employé du mois de chez McDo. Pour lui, les
employés d'Air Inter sont «des fonctionnaires de merde», un représentant
«sait à quelle heure il part le matin, il ne sait pas à quelle heure il
revient», «il ne faut pas prendre de vacances parce que les meilleurs
mois pour prospecter, c'est juillet et août», etc. Elle trouve déjà que «c'est
malsain d'acheter le droit de travailler» alors y passer quinze heures
par jour" Otzenberger travaille habilement ce fil fragile de la
résistance humaine et économique. Jour après jour, le rapport de force
entre Éliane et son patron, Éliane et son métier, Éliane et ses clients
va se tendre, se tendre encore, jusqu'à se dénouer au moment de la
signature du contrat de travail. Éliane en conteste un des alinéas. La
scène de chantage économique qui suit est effrayante. Mais, au lieu de
l'écrire, il faut le voir. Libération.fr. Emmanuel Poncet.
Christophe Otzenberger est
auteur, acteur, scénariste, réalisateur de films documentaires et de fiction.
Il a notamment réalisé La Conquête de Clichy (1995),
Une journée chez ma tante (1996)
Fragments sur la misère (1998),
En cas d’urgence (1999), Autrement (2001),
Itinéraires (2006) et Voyage
au cœur de l’alcool(isme) (2010), Toute ma vie, j'ai rêvé...(2014). Il est décédé en 2017.
Cliquez ici pour lire un article en hommage au documentariste Christophe Otzenberger.
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