CABINET DE CURIOSITÉS
Sac la mort
À la Réunion, bouleversé par l’assassinat de son frère dont il connaît
l'auteur et expulsé de sa case par son meilleur ami, Patrice est persuadé d'avoir marché sur un sac la mort, un sac plastique traditionnellement posé à un carrefour et censé contenir un esprit néfaste, "collé" sur le malheureux qui posera son pied dessus...
Sac la mort raconte la vie de
Patrice et de ses amis, une histoire tumultueuse en hommage aux Cafres,
interprétée par des réunionnais au talent d’acteur exceptionnel. Un
film remarqué et sélectionné au festival de Cannes.
Tout commence par un égarement : il y a sept ans, alors qu’il s’était perdu en faisant des repérages à La Réunion, Emmanuel Parraud rencontre Patrice Planesse et Charles-Henri Lamonge. «Ils étaient ivres mais lucides sur ce qui nous séparait», résume-t-il. Ils sont devenus amis, le cinéaste leur a consacré un premier film en 2010, Adieu à tout cela, et aujourd’hui ce Sac la mort dont
Patrice est le protagoniste principal. Ce dernier est un cafre, un
descendant d’esclaves d’origine africaine, une catégorie sociale encore
souvent marginalisée à La Réunion. Lorsqu’ils étaient esclaves, on les
tenait par l’alcool et ils ont gardé le goût excessif du rhum.
La séquence d’ouverture est saisissante : à peine a-t-il appris que
la tête de son frère a été retrouvée que Patrice reçoit la visite de
l’assassin, coupe-coupe à la main, venu lui témoigner sa compassion.
Devons-nous en rire ou nous effrayer ? Tout le film joue sur ce type de
trouble, qui entremêle documentaire, fantastique, polar et humour
absurde. Et s’il nous déroute, c’est pour mieux être fidèle à la
perception et à l’imaginaire des personnages. Ça passe notamment par un
rythme très particulier, une forme de flottement constant, du récit
aussi bien que des sens. Une ivresse insoumise à l’urgence, propice aux
errances et aux conversations aventureuses.
Mais la parole vaut ici bien plus qu’une discussion d’ivrognes. Le
film est en créole, une langue qui ne cesse de triturer le français. On
songe à d’autres cinéastes qui ont su saisir une comparable réinvention
de notre langue : Rouch en Afrique de l’Ouest, Perrault au Québec ou,
plus récemment, Jean-Charles Hue avec la communauté yéniche. Comme
Jean-Charles Hue, Emmanuel Parraud part sur des terrains
cinématographiquement repérables (le polar, le fantastique) pour mieux
déterritorialiser le cinéma en le frottant à une parole, une temporalité
et un imaginaire encore inexplorés. Marcos Uzal - Libération Culture
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