CINÉMA FRANÇAIS ANNÉES 60 ET 70
Jamais plus toujours
A l'Hôtel Drouot, Claire se promène parmi les objets qui ont été dispersés et qui ont appartenu à son amie Agathe. C'est tout son passé qui ressurgit. Mathieu doit retrouver Claire à la salle des ventes, ils s'aiment mais vont bientôt se séparer. Un film magnifique, fragile et délicat sur l'âme des objets inanimés.
Impossible de trouver plus beau titre pour un film sur la mémoire. Dans
Jamais plus toujours, les personnages principaux sont les objets, que la
caméra caresse en de lents travellings. A l'Hôtel Drouot, un
commissaire-priseur disperse les affaires d'Agathe (Loleh Bellon, filmée
avec amour par sa sœur Yannick), une comédienne qui s'est suicidée. Un
album de photos, une peluche péruvienne, un paravent réveillent les
souvenirs de son amie Claire (Bulle Ogier, à la beauté triste). Avec
fluidité et élégance (quoiqu'un peu d'affectation dans les dialogues),
le film passe constamment du présent au passé, de la salle des ventes,
où les biens changent de propriétaire, à la rue, où d'autres objets,
d'autres histoires seront broyés dans un camion à benne. Les séquences
où Bulle Ogier chemine le long d'immeubles en ruine puis dans des
quartiers à la froide modernité font écho à Quelque part quelqu'un
(1972), le premier film de Yannick Bellon, témoignage poétique sur les
mutations-destructions de Paris à l'ère Pompidou. La réalisatrice en
reprend quelques partis pris formels (plans documentaires, insertion des
comédiens au milieu d'une vraie foule, montage métaphorique) ainsi que
la profonde mélancolie. Avec, toutefois, une note d'optimisme : les
objets sont détruits, et avec eux les êtres et les sentiments, mais tout
peut renaître sous une autre forme. Samuel Douhaire. Télérama.fr
Cinéaste, monteuse, scénariste, réalisatrice et productrice pour la société de production Les Films de l'Équinoxe, Yannick Bellon baigne dès son plus jeune âge dans le monde artistique grâce à sa mère Denise Bellon, photographe qui couvre de nombreuses expositions surréalistes, et son oncle Jacques Brunius, acteur et cinéaste éclectique. En huit longs métrages, elle pose un nouveau regard sur des sujets
tabous pour l’époque : la détresse d’une épouse après un divorce (La Femme de Jean, 1974), la banalisation du viol des femmes dans la société française (L’Amour violé, 1978), le cancer du sein (L’Amour nu, 1980), l’homosexualité masculine (La Triche, 1984), la destruction ornithologique liée à la pulsion de destruction masculine (L’Affût, 1992) … Yannick Bellon a également énormément contribué à la place des réalisatrices dans
le cinéma au même titre qu’Alice Guy et Agnès Varda, ouvrant les portes
dans les années 1990 à une nouvelle génération de femmes qui pouvaient
trouver grâce à sa ténacité la légitimité de développer leur propre
parcours. Yannick Bellon, dans tous ses films, porte un même regard lucide et tendre
sur ces êtres humains qui tracent leur chemin dans le refus de la
soumission et la reconquête de leur dignité. En ce sens on peut parler
d’une cinéaste humaniste et profondément engagée. Mais on ne saurait
négliger son apport cinématographique aux formes multiples, imprégné de
l’art du documentaire, un cinéma traversé par une poésie et une
musicalité uniques.
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