Depuis peu, Louis, artiste peintre, vit d’étranges événements. L’univers qui l'entoure semble en mutation. Lentement, les meubles, les objets, des personnes perdent de leur réalisme. Ils se déstructurent, parfois se délitent.

* Cristal du court-métrage au Festival d'Annecy, 2020

On parle beaucoup dans Mémorable. Peut-être trop. Comme si la parole devait couvrir le dysfonctionnement, faire diversion face aux mutations d’un réel filtré par la maladie du personnage principal. Celui-ci, Louis, est un peintre dont les souvenirs s’effacent, dont la perception du monde mute, faisant ressembler – à ses yeux et aux nôtres – son visage à un autoportrait raviné de Van Gogh, et ceux des autres – dont les traits lui échappent – aux découpes de chair de Francis Bacon. La citation, qui eut toujours une place privilégiée dans les films de Bruno Collet, ramène désormais plus aux peintres qu’au cinéma, mais demeure tout autant motivée par le récit qu’elle le fut à l’époque de Calypso is Like so (2003) ou du Petit dragon (2009), ses hommages en stop-motion à Robert Mitchum ou à Bruce Lee.

Dans l’esprit de Louis, tout se mélange : le réel, sa vie de couple, ce qu’il peignit, les toiles qu’il admira. Résulte de l’entremêlement de ses souvenirs et des œuvres des autres une imagerie foisonnante qui fait la beauté d’un film prenant le parti de montrer avec une emphase paradoxale l’indicible de l’amnésie. La réussite de Mémorable tient précisément dans l’articulation entre un récit profondément mélancolique et un projet plastique offrant au drame un relief inédit. Bruno Collet trouve ainsi à chaque nouveau stade de la maladie d’étourdissants tours visuels, pure adéquation entre la forme et le fond, sans jamais céder pour autant à la platitude de l’illustration.

Contre toute attente, la maladie d’Alzheimer est ici figurée par un trop-plein, où les choses ne se hiérarchisent plus, où les fonctions des objets se brouillent, s’échangent. Au décor modelé par le cinéaste et son équipe se juxtapose celui, transformé et empreint de subjectivité, dans lequel l’esprit farceur de Louis le tient enfermé. Au point de vue atterré de sa femme se juxtapose le nôtre. Et si une contre-plongée devant une porte close cite explicitement Shining, peut-être est-ce parce qu’il s’agit aussi là d’une histoire d’enfermement où une femme assiste à la bascule dans la folie d’un mari artiste. Troublante ambivalence entre le drame vécu (par un personnage de témoin impuissant) et les beautés graphiques que la maladie génère (pour nous autres, spectateurs). La richesse de Mémorable réside sans doute dans cet entre-deux que seul, peut-être, le cinéma d’animation – avec ses outils singuliers, ses sortilèges et ses inventions – pouvait ainsi saisir au plus près…

Stéphane Kahn, Bref n°125, 2020

Après un Diplôme National Supérieur d'Art Plastiques aux Beaux Arts de Rennes, Bruno Collet  se passionne pour la sculpture et acquiert une formation de fondeur. A partir de 1993, il travaille comme décorateur sur de nombreux films, séries et vidéomusiques en volume animé. En 1998, il signe la mini-série en animation Avoir un bon copain, une première réalisation coproduite par Canal+. En 2001, Le dos au mur, son premier court métrage, est sélectionné par la Semaine de la Critique au festival de Cannes et remporte le Prix de la Jeune critique. En 2005, il réalise la série La Tête dans le guidon qui connaît une exploitation internationale et en particulier au Japon où elle est diffusée par la NHK. En 2007, il achève la série La Tête dans les flocons et développe un hommage à Bruce Lee pour la collection de films courts Animator’s Studio produite par Vivement Lundi ! Suivent Son Indochine (2012), Panique chez les jouets (2014) et Mémorable (2019), court-métrage sur la maladie d’Alzheimer nommé aux Oscar et aux César 2020 qui obtient de nombreux prix dont le Cristal du court-métrage au Festival d'Annecy.

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Ce film est interdit aux moins de 16 ans.