PREMIERS LONGS METRAGES REMARQUÉS
Un pays qui se tient sage
Alors que s’accroissent la colère et le mécontentement devant les injustices sociales, de nombreuses manifestations citoyennes sont l’objet d’une répression de plus en plus brutale. Un pays qui se tient sage invite des citoyens à approfondir, interroger et confronter leurs points de vue sur l’ordre social et la légitimité de l’usage de la violence par l’État.
* Lumière du meilleur documentaire, Festival Lumières 2021
Hasard de l'actualité politique, la phrase qui ouvre littéralement le film de David Dufresne, écrite à l'ordinateur sur un morceau de papier plié, est devenue, honteusement détournée de son sens par le nouveau ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin, le tube de l'été : "L’État revendique le monopole de la violence physique légitime". C'est à partir de cette déformation des thèses de Max Weber que se construit Un pays qui se tient sage. Sa forme cherche justement à contester le flou médiatique et surtout télévisuel où sont souvent englouties les images de la répression des manifestations des Gilets Jaunes et, avec elles, les débats qu'elles suscitent. La structure du documentaire épouse donc d'abord celle des images : un écran de cinéma omniprésent diffuse principalement des vidéos tournées au téléphone lors de différents moments de violence policière ces dernières années, images qui se déploient parfois intégralement sur "notre" écran ; celle de la parole, ensuite : à chaque fois, deux personnes placées devant cet écran conversent, en très gros plan. A l'angoisse des images, cette forme ajoute un certain étouffement par la parole qui y réagit, fût-elle brillante, enragée ou douloureuse. L'image montre, la parole pense. Entre la dialectique et la communication, le montage fait le choix de la seconde : les dialogues sont souvent déconstruits, recomposés à partir de bribes d'entretiens qui ne se répondent qu'a posteriori.
Cette redistribution des débats se met ainsi au diapason des sujets abordés, de l'importance des téléphones portables aux dérives antidémocratiques en passant par l'affaire Benalla. D'où un constat frustrant : dans l'actualité, quelque chose résiste inévitablement au regard de l'Histoire. Quelques interventions réussissent cependant à faire mouche, tel le dialogue entre Michel Foorst et Romain Huët où ce dernier explique la jouissance du manifestant qui se saisit d'un morceau d'une vitrine cassée - ce serait un morceau de l’État, jusqu'alors impalpable, qu'il tiendrait enfin dans ses mains.
La plus belle idée du film se manifeste lorsque Dufresne ménage une respiration qui laisse entrer, enfin, l'Histoire : en montant successivement ces violences policières puis les mêmes lieux rendus à leur calme quotidien. Ces paysages (ou ce pays sage) viennent rappeler que la violence du monde tient aussi à son inertie. Les Cahiers du Cinéma n° 768, septembre 2020
David Dufresne est un journaliste indépendant, écrivain et réalisateur français né en 1968. Il commence dans le
fanzinat dans les années 80 avant de rejoindre la presse rock, et fonde le
quotidien parisien Le jour au début
des années 90. Par la suite il travaille pour Libération et contribue à la création de Mediapart. David Dufresne
est également l'un des tout premiers créateurs de webzine en France. Il est notamment
le fondateur de La Rafale en 1995 et il est l'un
des auteurs du Manifeste du Web Indépendant. En
2011, il remporte le World Press Photo catégorie œuvre non linéaire pour son
webdocumentaire Prison Valley (avec
Philippe Brault), qui lui ouvrent les portes du MIT Open Documentary lab où il
est artiste en résidence pendant deux ans. Il publie son premier roman Dernière
sommation en 2019 après une dizaine d’ouvrages d’enquête dont On ne vit qu’une
heure, une virée avec Jacques Brel (2018) et Tarnac, magasin général (Prix
des Assises du Journalisme 2012). En 2019, il reçoit le Grand Prix du
Journalisme aux Assises internationales du Journalisme pour son projet
"Allo Place Beauvau" sur les violences policières, travail reconnu
par l’ONU, le Conseil de l’Europe et le Parlement européen. David Dufresne réalise en 2020 Un pays qui se tient sage, son premier long métrage au cinéma,
soutenu par la Quinzaine des réalisateurs de Cannes 2020, nommé pour le César
du Meilleur film documentaire et Lumières du Meilleur documentaire 2021. En
2022, il publie 19h59, roman sur le système politico-médiatique.
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