Martin, ex-bobo parisien reconverti en boulanger d’un village normand, a gardé de ses ambitions de jeunesse une forte capacité d’imagination et une vive passion pour la grande littérature, notamment pour celle de Flaubert. Lorsqu’un couple d’Anglais, Gemma et Charles Bovery, aux noms étrangement familiers et dont les comportements semblent inspirés par les héros de Flaubert, vient s’installer dans le village, pour le créateur qui sommeille en Martin l’occasion est trop belle de pétrir le destin de ces personnages. Mais la jolie Gemma n’a pas lu ses classiques et entend bien vivre sa propre vie…

Jean Renoir (en 1933), Vincente Minnelli (en 1949) et Claude Chabrol (en 1991) s'étant déjà livrés à l'exercice, Anne Fontaine n'a pas cherché dans Gemma Bovery, son nouveau film, à proposer une énième adaptation cinématographique de Madame Bovary, le célébrissime roman de Flaubert. Elle a préféré partir du roman graphique de Posy Simmonds, sorte de variation contemporaine sur le mythe de Madame Bovary, pour, ensuite, ressusciter Flaubert dans une autre vie, une autre époque.

Obsessionnel littéraire s'il en est, c'est à Fabrice Luchini – Martin Joubert dans le film, un ancien éditeur parisien établi dans un village normand où il a repris la boulangerie de son père – qu'il revient, dans le film, d'opérer ce transfert de Madame Bovary dans une réalité d'aujourd'hui. Quant à Gemma Arterton, elle est Gemma Bovery, une belle Anglaise venue avec son mari dans un charmant village normand pour échapper à la folie londonienne. Un détail cependant : son mari s'appelle Charles. Charles Bovery… (…) Seul Fabrice Luchini pouvait rendre plausible une telle obsession. Avec sa voix si particulière, cette manière de prononcer les mots comme s'il en dégustait chaque syllabe, ce regard qui oscille sans cesse entre la tendresse et la folie, il nous emmène, dans ce petit coin de Normandie profonde, à la rencontre du génie de Flaubert. S'offrant de-ci de-là quelques morceaux de bravoure – cette scène d'un érotisme torride où il apprend à Gemma à pétrir le pain –, Luchini fait du super-Luchini, en proie à une véritable passion érotico-littéraire. Face à des Anglais un brin caricaturaux, il est la France à lui tout seul, une France profonde et cultivée, un brin misanthrope mais douée d'une capacité étonnante à céder aux vertiges de la beauté.

Face à lui, Gemma Arterton. En la regardant jouer, on se souvient de la fameuse formule de Nietzsche : « Nous ne vivons que grâce à des illusions, et nous avons donc besoin, pour vivre, de l'art à chaque instant. » Parmi les seconds rôles, à noter un joli numéro d'Elsa Zylberstein, impayable en snobinarde.

Gemma Bovery se regarde avec d'autant plus de plaisir qu'il donne une furieuse envie de relire Madame Bovary. Nous tairons bien évidemment la fin, peut-être la partie la plus réussie du film. Sachez simplement que le livre de Posy Simmonds se termine sur l'arrivée de nouveaux propriétaires – encore des Anglais – dans la maison précédemment occupée par les Bovery. « Elle s'appelle Jane. Jane Eyre », dit à son mari la femme du boulanger. Quant à la chute, chut ! Franck Nouchi, Le Monde, 2014.

Anne Fontaine est une actrice, scénariste et réalisatrice franco-luxembourgeoise née en 1959. Danseuse de formation, elle débute au cinéma comme actrice dans les années 80. Après avoir collaboré à la mise en scène de la pièce Voyage au bout de la nuit en 1986 avec Fabrice Luchini, elle réalise son premier film, Les Histoires d'amour finissent mal... en général, qui obtient le Prix Jean Vigo en 1993. Deux ans plus tard, avec son moyen métrage Augustin, elle dresse le portrait d'un homme timide et veule qui se voit proposer la possibilité de jouer dans un film avec Thierry Lhermitte. Ce personnage fantaisiste campé par son frère Jean-Chrétien Sibertin-Blanc, sera également le héros d'Augustin roi du kung-fu, réalisé en 1999, et s'illustrera sept ans plus tard dans une autre comédie de la cinéaste, Nouvelle chance, aux côtés de Danielle Darrieux et d'Arielle Dombasle.

Entre-temps, Anne Fontaine s'essaie à un autre style et dirige le triangle "amoureux" Charles Berling / Miou-Miou / Stanislas Merhar dans le très remarqué Nettoyage à sec (1997). Déroutant, ce thriller instaure des récurrences à venir dans la filmographie de la réalisatrice, attirée par la psychologie des personnages, le danger de mort et le triangle, sexuel ou amoureux. Charles Berling collaborera une seconde fois avec elle, quatre ans plus tard, sur Comment j'ai tué mon père, un drame familial qui vaudra à Michel Bouquet le César du Meilleur acteur.

Cinéaste de l'ambiguïté, Anne Fontaine poursuit son exploration des mystères du couple et du désir dans le drame psychologique Nathalie... (2003), une œuvre à nouveau emmenée par un triangle amoureux : Fanny Ardant, Emmanuelle Béart et Gérard Depardieu. S'inscrivant dès lors en rupture avec ses précédents longs métrages, elle privilégie une mise en scène plus brute, moins théâtralisée pour son film suivant porté par Isabelle Carré et Benoît Poelvoorde : en 2005, Entre ses mains est défini comme un "thriller intime" par son auteur.

Trois ans plus tard, Anne Fontaine renoue avec la légèreté en offrant à la présentatrice météo Louise Bourgoin son premier grand rôle au cinéma, celui de La Fille de Monaco, aux côtés de Fabrice Luchini et de Roschdy Zem. En 2009, son biopic Coco avant Chanel, porté par un casting de choix réunissant les populaires Audrey Tautou, Benoît Poelvoorde ainsi que l'acteur américain Alessandro Nivola, trouve un bon accueil chez la presse et les spectateurs. Elle revient ensuite avec Mon pire cauchemar, une comédie dans laquelle elle retrouve une nouvelle fois l'acteur belge Benoît Poelvoorde, en phase de devenir son acteur fétiche, mais aussi Isabelle Huppert, André Dussolier et Virginie Efira.

En 2013, Anne Fontaine adapte avec le scénariste Christopher Hampton une nouvelle de Doris Lessing, Perfect Mothers, portrait de femmes engagées dans des liaisons passionnelles cachées et croisées, chacune éprise du fils de l'autre. Pour l'occasion, elle dirige Naomi Watts et Robin Wright. Toujours dans l'adaptation, elle s'attèle à un roman graphique de Posy Simmonds, Gemma Bovery, et donne à Fabrice Luchini l'un des rôles principaux aux côtés de Gemma Arterton qui, elle, tient le rôle-titre.

Pour son quinzième film, Les innocentes (2015), Anne Fontaine réalise pour la première fois un drame historique. Ce dernier se centre sur des faits peu connus qui se sont déroulés en Pologne durant l’année 1945, à savoir le viol de 25 sœurs dans un couvent puis le meurtre de 20 d'entre elles par les soldats soviétiques.En 2016 sort Marvin ou la belle éducation, suivi en 2019 de Blanche Comme Neige et en 2020 de Police, adaptation du roman du même nom écrit par Hugo Boris, avec Omar Sy et Virginie Efira. Anne Fontaine réalise en 2021 Présidents, avec Jean Dujardin rappelant fortement Nicolas Sarkozy et Grégory Gadebois, François Hollande.

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